Manifeste pour un paysage mellifère

Depuis 2014, je mène une explorations dans le paysage de l’aire de butinage des abeilles de mon rucher (à Die, Drôme, 26). Ce que je présente ici est une première formulation de cette notion que j’ai élaboré est qui porte de le nom de « paysage mellifère ».
J’exprime ici les raisons qui m’ont conduis à cette notion. Je dégage ensuite ses potentialités dans les rapports renouvelés entre paysage (comme territoire vivant), les abeilles (dans et à l’extérieur de la ruche) et l’activité humaine à se mettre en symbiose avec le vivant.
Pour ce qui me concerne, j’ai effectué la première partie d’évaluation et d’inventaire de potentiel mellifère du paysage où j’habite. La plantation de plantes mellifères se fait dans le jardin bleu.

]  UN POSTULAT : LES ABEILLES
Il est communément admis que les insectes pollinisateurs en général et les abeilles en particuliers font l’objet d’une diminution de population très inquiétante. Devant l’extrême difficulté à prendre au sérieux ce phénomène et d’en corriger les effets, les pouvoirs publics comme les études scientifiques intègrent cette situation comme marginale. En dépit de quelques décisions dites «courageuses» et devant l’utilisation de produits phytosanitaires toujours plus puissants et sournois dans leur effectivité, les apiculteurs semblent démunis devant un tel phénomène.
Le point de vue adopté ici demande de faire un pas de côté et d’agencer les enjeux de façon différents en plaçant l’abeille au centre des processus de la vie dans les écosystèmes dont nous dépendons. Nous connaissons désormais tous la fonction de sentinelle qu’aurait l’abeille dans l’environnement. Je proposerais pour ma part celle de sonde (ce point sera développer plus loin).
Les abeilles adapte comme s’adapte au rythme du vivant, elles en sont un pouls que l’on peut observer. Cela en fait une espèce privilégiée pour apprécier l’évolution et l’état de l’environnement dans lequel elles vivent. De cette manière, on peut les considérer comme une sonde qui nous fournis des informations précieuses. Comme nous allons le voir, ceci
permet de redéployer un ensemble de rapports à la fois pragmatiques, comportementaux et esthétiques ouvrant sur des perspectives renouvelées.
Nous partons donc de l’abeille et de son aire de butinage (+/- 3 km autour de la ruche) comme milieu de subsistance. En effet, l’abeille se trouve à l’intersection de plusieurs enjeux irréductibles qui sont : la fonction de pollinisateur et l’élaboration de sa propre nourriture, le miel.

>   la fonction pollinisatrice
Cette fonction est largement connue. Son rôle dans la participation saine et efficace de la pollinisation des plantes n’est plus a démontrer ici. Du reste, il est toujours important de souligner qu’il existe une cohorte d’insectes pollinisateurs dont l’abeille fait partie. Mais quelque soit l’espèce pollinisatrice : nous n’avons pas d’autres moyens pour polliniser les plantes, c’est une fonction irréductible, c’est à dire que l’humain ne peut s’y soustraire.

>   Sa nourriture : le miel
L’abeille fait peut-être exception dans le règne animal : elle se nourrit d’une unique substance qu’elle est la seule à élaborer : le miel. Quelque soit le sirop que l’apiculteur lui donnera, et quelque soit les campagnes publicitaires des fabricants de sirop ventant leur produit, rien n’égalera le miel. Il est donc  impossible de lui enlever le miel pour autre chose (sauf en cas de famine évidemment).
Ainsi le nectar à partir duquel les abeilles élaborent le miel se trouve dans les fleurs de l’aire de butinage. Il devient alors irréductible la présence de fleurs en nombre et de façon continu du printemps au début de l’automne afin que l’abeille puisse élaborer le miel, son aliment exclusif.
Il convient ici de souligner que l’apiculture auquel nous nous référons et que nous pratiquons est une apiculture amateur et fixe. Dans ce sens, la récolte de miel ne se fait qu’à la condition qu’il existe un surplus de stock que l’apiculteur peut prélever sans risque d’affamer l’essaim ou de lui donner un sirop de substitution, succédané de miel.
Ajoutons ici, que si un sirop peut remplacer de façon ponctuel un déficit de nectar alentour, il ne remplacera jamais la nécessité impérieuse de  pollen indispensable à l’alimentation du couvain. Nous revenons donc à cette présence irréductible de fleurs cité plus haut.

>   Pour résumer
Pour que les abeilles se nourrissent, elles doivent élaborer du miel, pour faire du miel il faut du nectar et donc des fleurs. Pour que les plantes brassent leur gènes et que des générations apparaissent avec un bagage génétique renouvelé, elles doivent être pollinisées et pour cela, il faut des insectes pollinisateurs, dont les abeilles.
Quelque soit le niveau de perfectionnement de la chimie appliquée aux plantes et des machines que la techno-science peut élaborer et quelque que soit notre point de vue sur ces questions, il reste que l’humain sera pendant encore longtemps (et certainement toujours) incapable de se substituer aux abeilles (et autres insectes pollinisateurs) pour à la fois polliniser les plantes et élaborer du miel, dont elles ont besoin pour se nourrir et continuer leur fonction de pollinisatrice. La boucle est bouclée.

] OUVERTURE
Il convient donc à ce stade de s’affranchir et de s’émanciper des discours à la fois de la techno-science (du tout technique et machine) et d’un écologisme théorique (du tout spontané, naturel, et contre la machine) pour partir de ce constat évident, souligner en gras ci-dessus, et en mesurer les conséquences et perspectives.
Un pas de côté à faire est proposé et se présente comme une ouverture pragmatique et esthétique aux territoires que nous habitons : le paysage mellifère.

] LE PAYSAGE MELLIFÈRE
Un paysage mellifère n’a pas d’apparence particulière. Il peut-être dans des espaces peu anthropisés comme urbains avec toutes les nuances de situations existantes : naturelles, rurales, péri-rurales, péri-urbaines, périphériques, urbaine. Peu importe son apparence pourvu qu’il réponde à trois critères :

  • une présence de fleur continu de début mars à fin septembre,
  • en quantité suffisante pour subvenir aux besoins des insectes pollinisateurs en général et aux abeilles en particulier, pouvant générer un surplus de miel que l’apiculteur peut prélever sans danger de mettre en famine l’essaim.
  • Une utilisation zéro de produits phytosanitaires et/ou toutes substances dont l’intention est de tuer un ou des insectes quelque soit le protocole agricole et les visées de rendement.

Finalement, les critères sont simples avec des conséquences d’une grande portée. Nous allons les prendre un par un.

>   Présence de fleur continue
Dès la fin janvier la reine se remet à pondre (selon l’endroit géographique, il y a bien sûr des variations). Les abeilles puisent dans leurs réserves de miel et de pollen pour se nourrir et alimenter le couvain nouveau. Mais les abeilles sortent si la journée et ensoleillé avec des températures agréables et visitent Noisetier, et autres plantes à chaton, pour prélever le pollen. Puis, selon les situations géographiques, les plantes vont se succéder dans la temporalité des saisons.
Du point de vue du paysage mellifère, l’enjeu est qu’il y ait une offre continu en nectar et pollen du début du printemps à la fin septembre (se concluant chez nous par la miellé de lierre). Ceci implique donc qu’il y ait une présence très diversifié de végétaux dans l’espace et bien sûr de plantes mellifères.

>   Présence en quantité suffisante
La présence de fleurs doit être telle qu’il en faut des millions pour qu’une accumulation effective de nectar se produise. C’est ainsi que les arbres à fleurs tel que les fruitiers (cerisier, pruniers, etc), Robinier Faux-Acacias, Châtaigniers, Tilleuls ou les champs de Lavandes sont des plantes sujettes à fournir de grosse quantité de nectar pour les abeilles, tant la quantité de fleur est importante. En revanche, une seule espèce de ces plantes dans le paysage, même en très grande quantité, ne suffisent pas à donner de la nourritures aux abeilles toute l’année, même si ponctuellement elles peuvent réaliser des réserves impressionnantes. Ce qui implique que du point de vue du paysage mellifère, il est favorisé la polyculture plutôt que la monoculture avec la présence de haies et d’espace en friche. Insistons encore que cela ne concerne pas uniquement l’espace rural mais tous les espaces à partir du moment où l’homme y intervient.

>   Présence zéro de produits toxiques
C’est effectivement le point névralgique, pour ne pas dire nerveux, et donc le plus compliqué à mettre en œuvre bien que des villes ont déjà renoncées à l’utilisation de produits phytosanitaires et autres produits chimiques insecticides ou graines enrobées. Il est évident que du point de vue du paysage mellifère, l’utilisation de tout produit chimique n’est pas concevable que ce soit sur les plantes et/ou sur les animaux. C’est une voie néfaste où la prolifération de substances toxiques invisibles dans l’environnement multiplient les facteurs de pollutions. L’augmentation des perturbateurs endocriniens touchent toutes les espèces animales et végétales.
Il convient que cette partie soit précisée et augmentée. Du reste, les revues apicoles ou un livre comme « l’étrange silence des abeilles » de Vincent Tardieu, font état des nombreuses études scientifiques sur ce que l’on nomme communément la disparition des abeilles. Et le constat est toujours le même : les insecticides tuent les insectes. Dans ce cas, ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais les substances chimiques elles-mêmes sont un poison quelque soit le dosage. Ces poisons se déplacent par l’air, le vent, les animaux eux-mêmes et se combinant avec d’autres résidus, ils forment des cocktails impossibles à identifier ni à quantifier. Leurs toxicités échappent alors aux travaux de laboratoires jamais assez poussés dans le temps pour en mesurer les effets délétères, mais aussi jamais combinés avec d’autres produits phytopharmaceutiques chimiques.
S’il n’y a pas de méthode miracle pour que les agriculteurs proscrivent l’utilisation de tels produits, il convient de s’appuyer sur des expériences d’agricultures se passant de produits phytosanitaires ainsi que des recherches scientifiques tel que peut les mener Marcel Bouché : les modèles existent, les expériences sont rentables, ce sont les aides qui ne sont jamais distribuées à cette endroit.

] CONSÉQUENCES SUR LE PAYSAGE
Les conséquences de la mise en application des critères répondant à ce qu’est un paysage mellifères est triple :

>   Physique
Par la présence physique de certaines variétés d’arbres et de plantes mellifères, la prolifération des insectes pollinisateurs sera assuré . Nous développerons plus bas les intérêts croisés que suscitent la présence des plantes mellifères.

>   Comportementales
En refusant l’utilisation de produit phytosanitaire, c’est un rapport renouvelé avec la plante (et la biosphère en général), mais aussi sur les modalités de production, les rendements et les bénéfices attendus. Il s’agit alors de porter son attention et ses préoccupations sur des enjeux émancipés des injonctions que la techno-science produit quotidiennement.

>   esthétique
La présence de plantes mellifères conjugués avec des comportements refusant l’utilisation de produits chimiques renouvelle complétement le rapport esthétique au paysage.
Il est ici important de souligner encore, que du point de vue du paysage mellifère, son esthétique n’est pas associé à une apparence particulière. Nous ne développons pas une méthode pour façonner un paysage à l’esthétique stéréotypé. Nous envisageons donc avec beaucoup de réserve la patrimonialisation des paysages  5tel que paysage provençale, village typique ou centre bourg ancien).  Au contraire, la question se pose plutôt sur les usages, les pratiques et les modalités de productions.
Selon le point du vue du paysage mellifère, son apparence sera le résultat de processus mis en place à partir des critères établis plus haut.


] MÉTHODE
La méthode adopté par l’auteur est pragmatique. Elle s’appuie sur l’observation entre ce qui se passe dans la ruche et l’environnement.

L’abeille comme sonde
L’association proposée avec ce petit animal est de créer une relation dans laquelle l’essaim d’abeille nous informe autant sur lui-même que sur l’environnement, qu’il s’agit ensuite de comprendre et d’interpréter. L’essaim d’abeille est vu alors comme une sonde plongée dans  l’environnement. Nous pouvons parler d’un agencement avec un animal et non avec un instrument fabriqué par l’homme. Ces formes d’agencement sont anciennes puisque utilisé pour la chasse avec le chien qui piste le lièvre, le cochon pour les truffes, etc.. Les apiculteurs connaissent les signes qu’ils perçoivent de la ruche et cela fait très certainement partie de la passion que peut recouvrir cette activité.  Il paraît pertinent de parler de rapports symbiotique en phase avec le pouls de la terre ; l’essaim d’abeille en est à la fois le résultat et le signe.

>   Inventaire des fleurs mellifère
Il s’agit de réaliser un inventaire des plantes mellifères et ceci sur une année entière. Dans une double observation entre l’approvisionnement de nectar et de pollen dans la ruche et la présence de plantes mellifères fleuries, nous observons les pics comme les chutes ou arrêts d’approvisionnement et ceci à quelle période et sur quelle surface.
L’inventaire permet de connaître l’environnement et de se mettre en affinité avec les abeilles. Bien souvent ce sont elles qui donnent des informations : tiens, il y a déjà des réserves de miel alors que nous sommes que début mars et que je ne vois aucune fleur autour de moi ! Outre des observations étonnantes comme celle-ci que l’auteur a faite en mars 2015, bien souvent nous trouvons les sources fleuries de nectar.
De même, il est important d’observer le territoire / paysage en été, et plus particulièrement en août qui est souvent une période de famine pour les abeilles.

>   Intérêts croisés
Il s’agit de créer des alliances avec d’autres métiers ou pratiques afin de créer des intérêts croisés : jardiniers, botanistes, plantes aromatiques, maraîchers, paysagistes, agents municipaux, architectes, urbanistes, etc… Autant de pratiques et de métiers dont la présence de plantes mellifères a plusieurs intérêts (esthétiques et pragmatique). En effet, la plupart des plantes mellifères sont à fruits et/ou aromatiques et/ou avec un intérêt sylvicole, etc..

>   Intervention
A partir de l’inventaire effectué sur une année et des fluctuations de nourriture pour les abeilles, il est possible d’établir une première idée des besoins. Selon la période, des espèces seront choisis et plantées afin de compenser le déficit de floraison. L’apiculteur détient alors une connaissance du milieu qu’il peut alors transmettre aux personnes concernées par cette situation. Il s’agit pour lui de créer alors des alliances avec d’autres personnes et/ou métiers pour que la plus grande participation influe réellement sur l’offre de nourriture pour les insectes.
Cette partie va faire l’objet du travail prochain où l’auteur expérimente lui-même la coopération avec d’autres métiers travaillant la terre.

]   CONCLUSION PARTIELLE
Afin de sauvegarder et pérenniser la vie des abeilles et autres insectes pollinisateurs, il convient tout autant d’en faire l’élevage que de planter des espèces végétales mellifères en nombre et de façon diversifié.
S’il est compliqué et peu aisé d’avoir une ou des ruches sur son balcon ou son jardin, tout le monde peut, en revanche, avoir des plantes mellifères sur le rebord de sa fenêtre comme dans son jardin ou sur les rond-points multiples.
L’enjeu est de créer, par la discontinuité des endroits où se trouvent des plantes mellifères, un ensemble pertinent et suffisant pour les insectes pollinisateurs, en général, et les abeilles en particulier.
L’aire de butinage se transforme ainsi dans ses usages, ses préoccupations, ses intérêts et donc dans son esthétique : nourrir et continuer leur fonction de pollinisatrice : boucler la boucle pour tout le monde.


.] WORK IN PROGRESS
Voilà écrit de façon synthétique ce qui pourrait être un début de théorisation de la notion de paysage mellifère. C’est un travail en cours qui demande encore des observations, expérimentations et la productions de données afin d’en restituer une proposition fiable pour celles et ceux qui veulent l’expérimenter.
Quoiqu’il en soit, si vous voulez plus d’informations et/ou discuter de ce projet n’hésitez pas à me contacter à l’adresse suivante reliefs.asso@gmail.com.

 

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